Les méthodes traditionnelles de management de projets et d’équipes échouent souvent dans le respect des délais. Cela doit inciter à adopter des méthodes telles que « la chaîne critique » initiée par le regretté Goldratt, auteur du bestseller « le But »
Il faut un certain courage et une volonté tenace pour remettre en cause les règles établies et en bâtir de nouvelles, basées sur le bon sens et l’envie de trouver des réponses simples à l’apparente complexité des projets.
La Chaîne Critique, tout droit venue de la Théorie des Contraintes*, répond à cette démarche et devient la pratique de tous ceux qui révolutionnent l’exécution des projets pour mieux respecter leurs défis de performances, de coûts et de délais.
À travers les trois règles socles de la Chaîne Critique, il apparaît aussi que mettre du bon sens est parfois plus ardu que prévu, surtout lorsque ce même bon sens se heurte à des croyances bien ancrées, à des habitudes parfois documentées au titre de « best practices », ou à des comportements humains naturels, mais qui restent de vrais pièges.
Règle 1 : Adapter l’encours de projets à la capacité de l’organisation
Imaginez un bouchon sur une autoroute ; il apparaît assez logique que pour résoudre le bouchon et améliorer le flux des voitures, les bretelles d’accès à cette autoroute soient contrôlées : plus il y a de voitures qui rejoignent l’autoroute déjà congestionnée, plus difficile et long sera un retour à la normale.
Inversement, s’il est possible de réguler les accès en les adaptant à la « capacité » de l’autoroute à drainer le flux de circulation, il sera alors plus aisé et rapide de résorber le bouchon. Il en est de même des projets : si ces derniers sont lancés sans tenir compte de la capacité des organisations à les exécuter, il est fort possible qu’ils n’avancent pas comme prévu et le portefeuille de projets va subir de nombreux retards. Ce retard étant vécu comme une fatalité, nombreux sont ceux qui décident alors de commencer leurs projets au plus tôt et donc d’ajouter dès que possible d’autres projets à une machine qui n’arrive déjà pas à faire face…
La Chaîne Critique apporte ici sa première contribution essentielle : adapter l’encours de projets à la capacité de l’organisation à faire ces projets. Cette capacité est en particulier déterminée par une « contrainte », c’est-à-dire parmi tous les contributeurs aux projets, une équipe métier, une compétence, une étape souvent commune à tous les projets qui va rythmer à elle-seule le flux global des projets. Cette première règle pleine de bon sens reste néanmoins compliquée à mettre en pratique, tant il est difficile de résister à « l’envie » de lancer immédiatement de nouveaux projets ; pas simple non plus d’admettre l’existence d’une contrainte et de l’identifier comme telle dans des organisations où la grande majorité des équipes se disent surchargées et où il est de rigueur de tout faire pour charger celles qui ne le seraient pas encore…
Règle 2 : Mutualiser toutes les sécurités affectées à chaque tâche
Autre règle de bon sens allant à l’encontre de ce qui se pratique sur le terrain : si l’on veut finir un projet à l’heure, malgré les aléas inévitables, il faut prévoir de la sécurité pour ce projet. Or, on constate que d’une manière quasi systématique, la sécurité n’est pas prévue pour le projet dans son ensemble mais bien plutôt pour chacune des tâches ou étapes le constituant.
Ceci découle directement de la demande faite aux acteurs projets de s’engager sur une estimation de délai associée à leurs tâches. Lorsque cela n’est pas fait à la légère, l’estimation, parce qu’elle a valeur d’engagement, doit être la plus fiable possible. Et comment rendre fiable une durée susceptible d’être impactée par l’aléa ? En intégrant autant de sécurité que possible.
C’est donc bien au niveau de chacune des tâches qu’une marge est prise, ceci pour garantir que chaque tâche ait une forte probabilité de finir à l’heure. Et pourtant, finir un projet à l’heure n’impose pas que chaque tâche le soit ! D’autant plus que la sécurité prise au niveau de la tâche ne profite pas au projet : soit elle est « consommée » car l’aléa redouté est survenu, soit elle est gaspillée car les comportements humains naturels poussent à ne pas rendre en avance une copie terminée (loi de Parkinson), ou à ne pas commencer tout de suite un sujet pour lequel il existe du temps pour l’imprévu (syndrome de l’étudiant).
Ainsi, les sécurités gaspillées sur les tâches n’arrivent jamais à protéger l’ensemble du projet.
La Chaîne Critique apporte donc sa deuxième contribution en phase de planification : il faut mutualiser toutes les sécurités usuellement affectées à chaque tâche pour constituer une protection conséquente, visible et partagée au niveau du projet. Cette protection (appelée « buffer » ou tampon) est là pour couvrir les aléas, sa gestion au niveau du projet permet d’éviter son gaspillage et incite à commencer à travailler sur les tâches au bon moment et à prévenir dès qu’une tâche est terminée.
Règle 3 : élaborer un indicateur, visible de tous, pour cadencer l’ensemble des tâches
La troisième règle qui structure la Chaîne Critique permet d’optimiser l’exécution des projets : il s’agit ici de mettre de la logique dans l’ordonnancement et les priorités des tâches. Pour cela éviter les ordres et contre-ordres, les priorités du jour contredites par celles du lendemain, les urgences sans arrêt revisitées… Un indicateur objectif et non discutable, visible de tous et pragmatique, permet de cadencer l’ensemble des tâches d’un portefeuille de projet. Cet indicateur fournit l’état d’avancement réel d’un projet en calculant le pourcentage de « buffer » consommé au regard de l’avancement de la Chaîne Critique (la chaîne la plus longue d’un projet basé sur le lien fonctionnel – chemin critique – et sur la capacité des ressources) du projet. Ainsi, la « santé » d’un projet et des tâches le constituant devient directement lisible à travers la valeur de l’indicateur. Si un arbitrage est nécessaire dans l’allocation des ressources, il est alors simple et logique d’affecter prioritairement les ressources aux projets les moins « en forme ».
Un autre intérêt indéniable de la Chaîne Critique est de focaliser l’attention du chef de projet sur l’essentiel : l’exécution de la Chaîne Critique. Ce n’est pas en comptabilisant le nombre de tâches effectuées, les heures consommées ou les dépenses engagées qu’il est possible de déterminer l’avancement d’un projet. C’est plutôt en mesurant le chemin parcouru au regard du chemin total (pourcentage d’avancement de la Chaîne Critique au regard de la durée de la Chaîne Critique) que l’on peut jauger le progrès.
Cela revient à dire que pour un voyage Alger-Oran de 450 kilomètres, compter les kilomètres parcourus ne renseigne pas nécessairement de ceux restant à parcourir, encore moins lorsque l’itinéraire effectivement retenu n’est pas le plus direct. Il faut se rendre à l’évidence : les détours, déviations et voies parallèles, même s’ils existent, nécessaires ou imposés, ne réduisent pas le trajet principal.
La mise en place de la Chaîne Critique a permis de réaliser des gains exceptionnels, y compris dans des secteurs très innovants comme ceux de l’électronique : une réduction avérée de 40 % des temps de cycle des projets par exemple autorise l’organisation qui a implémenté la Chaîne Critique à développer plus de projets avec la même capacité.
Par ailleurs, la possibilité d’être à l’heure dans ses développements est un facteur clef du « time to market » et représente, au-delà des diminutions des coûts, les retards étant systématiquement liés à des dépassements importants de budgets, une opportunité d’engendrer des revenus plus vite sur des marchés compétitifs.
*La théorie des contraintes est le nom donné à une série de techniques de résolution de problèmes et d’aide à la décision créé par l’auteur en début des années 80 .la théorie des contraintes est appliquée à la planification de la production pour contrôle de la production ,la gestion de projet ,à la gestion des approvisionnements et aux indicateurs de performance dans les entreprises ,l’ambition de l’auteur était de bâtir progressivement une théorie du management de projet induit par l’accumulation de fait issu d’observations ou d’expérience.
L’auteur a démarré ses réflexions en considérant que le processus de gestion sont typiquement modélisés comme des flux et donc que les contraintes limitent le débit.
Ainsi concentrer ses efforts sur les quelques contraintes qui limitent les performances d’un système produit rapidement d’importants effets positifs et pour exploiter au mieux les performances des contraintes, il est absolument essentiel de disposer de capacités excédentaires à d’autres endroits du processus considéré.
Cela est contraire aux idées conventionnelles en matière de management pour laquelle des capacités excédentaires sont considérées comme des gaspillages.
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