Qu’est-il arrivé aux allemands ?
Afin de mettre de me mettre un peu baume au cœur et, principalement, à mes compatriotes en termes de gestion de projet réussi, je tenais à partager avec vous l’incroyable histoire du projet de l’aéroport de Berlin.
Un projet qui avait une livraison prévue fin 2011 pour un budget de 1,7 milliard d’euros et finalement livré en 2020 avec 9 ans de retard et avec un budget 4 fois plus élevé.
Nous parlons bien d’un projet géré par et pour l’Allemagne (4e PIB mondial en 2018, 4e exportateur mondial [1279 milliards de $ en 2017]…) sans parler de sa puissance manufacturière, automobile ou dans le secteur de la chimie, pour ne citer que ces trois secteurs.
Les faits :
Avant d’essayer de comprendre le pourquoi de ce ratage, laissez-moi vous partager les faits largement relatés dans la presse internationale :
- Emplacement mal choisi (Jugement définitif du tribunal fédéral administratif interdisant les vols de nuit !!) ;
- Les trajectoires de vol et les zones de protection acoustique ont été mal calculées ;
- Le code international de l’aéroport, qui devait être BBI (Ce nom est même gravé sur le principal hall d’entrée), a dû être modifié après que des fonctionnaires se sont aperçus qu’il était déjà utilisé par la ville de Bhubaneswar, en Inde… ;
- L’inauguration de l’aéroport Willy Brandt a été reportée cinq fois du fait d’erreurs de planification, de défauts de construction et de problèmes techniques
- En 2014, et en raison des multiples malfaçons, seuls 4 % des travaux terminés étaient certifiables ;
- En 2015, Imtech, l’une des entreprises de construction les plus importantes sur le site de l’aéroport de Branbenburg, dépose son bilan
- Les escaliers mécaniques commandés sont… trop courts. Faute de mieux, les responsables des travaux rajoutent quelques marches afin de relier correctement les étages ;
- Un rapport d’audit technique a fait état, en mars 2019, de 11 519 défauts à corriger avant le 31 juillet 2019 pour pouvoir ouvrir l’aéroport en 2020. Parmi ces défaillances, certaines étaient difficilement surmontables : des parties du système de protection incendie, de l’alimentation électrique de secours et de l’éclairage ont été fixées à l’aide de milliers de chevilles… en plastique non ignifugé.
- La conception avait été d’évacuer la fumée lors d’une urgence vers le bas, sous les planchers de l’aéroport, la seule raison pour laquelle cela n’a pas fonctionné lors des tests est que la fumée monte (élémentaire, mon cher Watson) ;
- Des centaines d’arbres fraîchement plantés ont dû être abattus, car ils n’étaient pas du bon type ;
- Les équipements mis à disposition, prévus pour l’ouverture en 2011, ont dû être mis à niveau, en installant notamment des prises pour le rechargement des téléphones portables dispensables lors de sa conception (750 écrans qui étaient allumés durant 6 ans en prévision de la première date d’ouverture ont déjà atteint la fin de leur vie et ont dû être remplacés avant même l’ouverture de l’aéroport)
- Juste avant l’ouverture du site, des contrôleurs ont également découvert que les ouvriers avaient bourré dans des gaines des milliers de câbles qui auraient dû être isolés. Depuis, tous ces fils ont dû être vérifiés un par un.
- Lorsque l’installation de l’éclairage est enfin terminée, l’aéroport illumine la nuit berlinoise. Le souci ? Les lumières ne s’éteignent plus parce qu’on ne sait pas au juste comment gérer l’éclairage ;
- Chaque jour, un train parcourt les 30 kilomètres jusqu’au centre-ville pour que les rails de la ligne ne rouillent pas et du personnel doit régulièrement ouvrir les robinets de l’hôtel de l’aéroport et de tous les sanitaires pour assurer le bon état de la tuyauterie ;
- 300 personnes s’occupent à entretenir le site. Leur salaire et les frais d’entretien du site coûtent 20 millions d’euros par mois (au minimum depuis sept 2016).
- ……
Ce ne sont là que quelques exemples illustrant la gabegie et l’énorme gaspillage engendré par ce projet
Les raisons (entre autres) :
il s’agit d’un exemple classique de ce que l’on appelle l’« illusion du coût irrécupérable » ; les personnes (ou dans ce cas, les organisations) hésitent souvent à réduire leurs pertes alors qu’elles ont déjà investi du temps ou des ressources dans quelque chose, même si cela semblerait logique de le faire.
Il s’agit d’un phénomène qui ne concerne pas uniquement les projets de grande envergure et à coût élevé tel que celui-ci, mais aussi une façon de penser qui peut se manifester dans la vie professionnelle quotidienne
Problème de conduite de projet :
Le chantier a été divisé en 7 lots (Construction de pistes, pose de câbles..) sans qu’aucun maitre d’œuvre ne fût désigné pour superviser le chantier dans sa globalité.
Nous savons tous l’importance de coordonner les travaux avec un SEUL chef de projet !
Problème de gouvernance de projet :
Le fédéralisme, cette fameuse machine à compromis que l’on admire tant à l’étranger, mais qui favorise dangereusement la dilution des responsabilités. Dernière spécialité néfaste « Made in Germany » : les normes environnementales. À cause du bruit, mais aussi de la flore et de la faune, les actions en justice se sont multipliées.
Le pouvoir politique, partagé entre plusieurs institutions, a renvoyé la responsabilité sur les maitres d’œuvre qui eux-mêmes se sont abrités derrière les demandes contradictoires des élus (extension latérale de l’aéroport, extension des surfaces consacrées au « duty free »,..)
Aucune ligne directrice n’a été suivie en continu (un rapport d’EY [Ernst &Young] a repéré 500 changements de stratégie en cinq ans)
Les relations contractuelles avec les entreprises ont étés très mal négociés (elles étaient payées à la journée et avaient donc tout intérêt à prendre leur temps).
Problème de recrutement :
Par exemple, et en 2014, il a été révélé que le planificateur en chef du système de protection incendie de l’aéroport, n’était pas un ingénieur qualifié, mais un dessinateur technique. Il a admis cela, disant que tout le monde pensait qu’il était un véritable ingénieur et « il ne les a pas contredits », cette erreur de recrutement a couté des centaines de millions d’euros.
Un problème de process de gestion RH probablement pas unique…
je vous invite, par ailleurs, à noter en commentaires quels autres types de disfonctionnements ( en fonction des domaines de connaissances de la gestion de projet) vous avez pu constater…
Conclusion :
Entre un État fédéral qui se laisse embarquer à contrecœur dans l’aventure, des élus locaux de Berlin et du Land de Brandebourg qui ne sont pas sur la même longueur d’onde, un manque flagrant de coordination, les ennuis se sont enchaînés.
Il ne s’agit aucunement de médisance (nous serions très mal placés pour cela), mais juste de prendre en considération que même les organisations les mieux ordonnées et les plus performantes peuvent se tromper, et rater leurs projets malgré un énorme savoir-faire et une expérience validée.
On peut alors comprendre qu’il arrive que cela se puisse mal se passer du côté de chez nous !
Entendons nous bien, ce cas d’école n’est que l’exception qui confirme la règle !
L’ingénierie allemande n’est plus à présenter et ce pays a à son actif des milliers de projets d’envergure aboutis.
Cet article n’est donc pas un blanc-seing adressé à notre communauté de pratique en gestion de projet, mais plutôt un exemple montrant que même les meilleurs peuvent se tromper…mais que c’est rare !
Cependant, c’est là toute la différence, je fais confiance aux Allemands pour apprendre de cette mésaventure, laquelle les a décrédités au niveau de leur image internationale d’excellence, et retenir (et apprendre surtout de) la leçon afin qu’une telle mésaventure ne puisse pas se reproduire.
Ps : À titre anecdotique, la famille de Willy Brandt a demandé que son nom soit retiré de l’aéroport, car elle ne veut pas que son nom soit associé à une telle catastrophe.
Bonjour Si Mourad,
Interessante etude de cas qui me fait rappeler le projet de l’A380 qui a connu des retards et des dysfonctionnements entre la partie française et la partie allemande, due aux insuffisances de communication et de coordination, a cause des differences culturelles mais surtout de carences de gestion de projet;
Le cas de l’aeroport de Berlin nous renseigne sur l’importance de la direction de projet et des processus de communication d’un projet, d’autant plus que le projet compte plusieurs parties prenantes ( maitre d’ouvrage, pouvoirs publics, élus locaux…).
Autre aspect pus flagrant, reside dans l’erreur du choix des compétences, qui a couté cher au projet.
Cordialement